Papa, t'es parti..
18h19: Maman m'appelle. J'étais retournée en cours après mon rendez vous parce que j'avais décidé de me battre. Contre quoi ? Cette maladie qui n'en est en fait pas une ? Grossesse nerveuse. Pff, ca veut rien dire. J'veux pas d'enfants.
Je décroche quand même. Dans l'amphi. Parce que c'est maman: "J'suis en cours, j'te rapelle après."
18h34: Je la rappelle, donc. Epuisée de ce cours qui n'en finissait pas mais avec un sourire qui, je ne le savais pas encore, allait s'éteindre aussi vite qu'il était apparu. "Maman t'as l'air bizarre, qu'est ce qu'il se passe ?"
Je marche, je t'entends mais t'écoute à demi. Juste de quoi capter le principal. Je raccroche. Oh, elle ne m'en voudra pas, c'était pas méchant. Mon téléphone est serré dans cette main qui ne peut plus se rouvrir. A cet instant précis, ça va encore. Je vis un rêve, je vais me réveiller. C'est sûr. Tout va bien. J'ai tout de même envie d'appuyer sur le bouton "marche/arrière". Ca vibre. Tant pis. Je vois ces gens dans la rue qui me regardent parce que je pleure toutes les larmes de mon corps. J'envie leurs bonheurs et leurs vies tout à coup. Avant ça allait encore, j'arrivais à gérer. J'espérais avoir assez touché le fond pour être épargnée cette fois.
Je décroche enfin. Lui pose toutes les questions qu'il faut et auxquelles j'ai besoin de trouver des réponses rapides, claires et précises. Je m'en doutais t'manière. Pourquoi je le prends comme ça ?
Parce que ma soeur et mon frère l'ont bien prit. Et moi, la soeur aînée, celle qui est censée montrer l'exemple et prendre le dessus, je m'écroule. Telle une merde qu'on ne peut plus ramasser. J'essaie de trouver tous les côtés positifs, mais il n'y en a pas. Quelqu'un(e?) m'a prit mon père. Mon coeur avec, en le fendant au passage. Histoire que se soit irréversible.
Parce que même s'il n'était jamais là, ne s'est jamais (pré)occupée de moi, ne savait rien de ma vie, me disait à peine bonjour le matin quand on se croisait dans la cuisine, c'était mon père.
On avait UNE "passion" en commun: Yannick Noah. C'était la notre. On chantait ses chansons à tue tête et on en chialait dans la voiture. Il m'avait promis de m'emmener à un de ses concerts. Aujourd'hui, je sais que ça ne sera plus possible. Encore une promesse non tenue. Une de plus.
Parce que je t'en veux petite garce ! Tu vas me le payer cher. T'avais pas l'droit d'me prendre mon papa. Le premier homme de ma vie. Celui qui a posé un premier regard sur moi. Celui qui résumait ma fierté en un seul mot: Papa.
Parce que c'était elle, eux et moi. Personne d'autre.
Parce que ma soeur est pas là. Et puis de toute manière, je vais pas jouer les gamines en l'appelant pour trouver un minimum de soutien. La honte.
Papa putain ! T'avais l'air bizarre dimanche dernier. Tes paroles étaient trop douces. Le ton de ta voix était trop monotone. Tes questions sur ma vie trop indiscrètes. Je t'ai demandé si tout allait bien, tu m'as dit que oui. Sans vouloir me dire où tu étais. C'était pas toi. Ca ne te ressemble pas. Fallait que je te rappelle début août parce que tu voulais manger avec moi. Je sais maintenant que ça ne sera plus possible.
Papa, mon coeur saigne. Je t'ai perdu. Ton coeur s'est étendu maintenant et je dois me taire. Accepter. Partager. En espérant simplement que ça n'aille pas plus loin.
Parce que je sais, c'est mieux comme ça. C'est d'ailleurs ce que Pinou m'aurait dit. Mais c'est pas ça qui compte. C'est que maintenant, yen a trois de plus dans ton coeur. Des inconnus. Je ne les connais pas et je ne veux même pas en entendre parler.
Parce que tu as laissé maman toute seule. Avec eux. Et moi.
Et maintenant ?
Parce que papa, je t'aime encore. Tu me fais mal. Tu ne veux pas ça. N'est ce pas ? Papa, reviens. Papa, réponds !
.. Avec elle.
[Et le 17 août 2009, tu es mort et je t'ai enterré.]